samedi 3 août 2013

Religieux par la science

Louis Cornellier, qu’il m’arrive d’apprécier, parle dans sa chronique d’aujourd’hui de la coexistence entre la science et la religion. On sait que le Devoir est lu par des gens instruits. Aussi est-il assez triste qu’on soit encore obligé d’expliquer en 2013 que science et religion ne sont pas contradictoires. Cornellier nous parle de Stephen Jay Gould et de son principe de non overlaping magisteria (NOMA, à ne pas confondre avec le musée). Je suis à peu près d’accord avec ce principe dans ses grandes lignes. Mais il ne faudrait pas établir entre les deux disciplines une frontière trop étanche.Comme d'habitude ce texte a été envoyé au principal intéressé.

La science est censée nous montrer le chemin. C’est son rôle. Je veux dire qu’elle est censée orienter notre esprit de façon à ce que l’on adapte notre comportement de manière à réussir notre vie. Savoir beaucoup de choses, mais pourquoi? Pour briller en société? Gagner des prix? Les transmettre à d’autres qui ne sauront pas plus que nous quoi faire avec? En bout de ligne, il me semble qu’on doit savoir des choses pour bien diriger sa vie, question de la RÉUSSIR. Je lis toujours un peu de terreur dans les yeux des gens lorsque j’aborde ce concept. « Quoi on peut rater notre vie? » Ça va certes à l’encontre du relativisme ambiant. Car comment établir des critères selon lesquels on pourra dire qu’une vie a été réussie ou ratée? Des critères sûrs et indiscutables? « Ça dépend de chacun! » Il y a des gens qui semblent convaincus que le but de la vie est d’accumuler des images de pornographie juvéniles sur leur disque dur. Va-t-on dire : « Si c’est ça qui est bien pour lui, qui sommes-nous pour dire que c’est pas correct »? Eh bien croyez-le ou non, c’est bien ce que je me suis déjà fait répondre, et pas seulement une fois. On prie pour obtenir la grâce d’une bonne mort lors de la quatrième dizaine des Mystères glorieux. J’imagine qu’il ne s’agit pas de se souvenir avec tendresse sur son lit d’agonie des milliers d’heures qu’on a passées à regarder des images pixellisées d’enfants abusés par des mononcles damnés.

La question qu’on pourrait se poser est : Dans quoi as-tu mis le meilleur de ton être? « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur », dit le Christ sur le mont des Olives. Si tu as mis le meilleur de toi-même (le meilleur de ton temps, de ton énergie, de ta fortune, de tes pensées) dans la fente d’une machine de vidéo-poker, je doute qu’on puisse dire que tu as réussi ta vie. Qu’importe ce que les autres disent, bien évidemment. Mais je doute que ta conscience, sur ton lit de mort, te fasse de high-fives en te disant : « Bravo champion, ça c’était une vie bien remplie. » La conscience est un juge bien plus sévère que l’opinion publique. Il est étonnant de voir à quel point des gens sont capables de la faire taire, mais je crois qu’elle n’en sort que plus bruyante lors de l’agonie, alors que nos forces de refoulement sont épuisées et qu’elle a le champ libre pour nous dire ce qu’elle a passé notre vie à se retenir de nous dire.

Je ne dis pas ça pour consoler les gens qui auraient pu être victime d’un bourreau s’en étant presque sorti avec les honneurs et vivant avec l’apparence de la plus parfaite sérénité. « Ne vous inquiétez pas, il aura son compte! La joke qu’on appelle la justice humaine a dû se retenir pour ne pas lui donner une médaille mais sa conscience le jugera sévèrement. » Je dis seulement qu’on peut réussir sa vie selon des critères qui ne sont pas relatifs à chacun.

Et que c’est ce que la science nous enseigne. Je prends souvent l’exemple de la chenille. Une chenille qui n’est jamais devenue papillon n’a pas réussi sa vie. La chenille est censée être une phase transitoire. Si on s’arrête à la phase transitoire, on s’est arrêté en chemin et c’est ce que j’ai défini précédemment comme étant l’idolâtrie. Inaccomplissement.

Il faut, pour réussir sa vie, aller au bout de « voie étroite » dont parle le Christ et que très peu trouvent. Ce qui signifie qu’il faut d’abord trouver cette voie, et ensuite aller au bout. Deux étapes donc, et la science nous aide pour la première. L’évolution, plus particulièrement.

Quand je parle d’évolution, je ne parle pas seulement du vivant. Ce dont on parle peu et qui m’apparaît évident, c’est l’évolution pré-biologique. Il y a d’abord des particules élémentaires, fermions et bosons. Les fermions vont faire la matière tandis que les bosons sont des particules de forces. L’électron est un fermion, mais pas le proton ni le neutron. Ces derniers sont formés de l’union de trois fermions, plus particulièrement des quarks. Il y a donc une évolution puisqu’un proton est dans une forme plus complexe qu’un quark. Puis des électrons, des fermions fondamentaux, sont captés par des protons et « orbitent » autour. S’ils sont captés et qu’ils peuvent former cette nouvelle réalité qu’on appelle l’atome, c’est parce qu’ils ont une charge électrique absolument égale à cette du proton, mais de signe opposé, comme on l’apprend au secondaire. Pourquoi? Les électrons, qui sont une forme de fermion qu’on appelle lepton, n’ont pourtant rien en commun avec les protons, formés de trois fermions d’un type totalement différent qu’on appelle quarks… Alors? Mystère total. On sait seulement que s’il n’en était pas ainsi, l’univers ne serait qu’une soupe de particules chargées… Mais ça c’est une autre histoire. Ce que je veux mettre en évidence, c’est la complexification (donc l’évolution) pré-biologique. Jusque là, il n’y a que des atomes simples, de l’hydrogène et de l’hélium. Les atomes plus complexes (l’oxygène, le carbone et tous les éléments du tableau périodique jusqu’au fer), vont se former par nucléosynthèse dans les étoiles. Puis certains de ces atomes vont s’unir ensemble pour former une nouvelle réalité plus complexe encore : la molécule.

Complexification. Évolution. C’est évident. Si on n’en parle pas, c’est parce qu’elle ne peut pas s’expliquer par la sélection naturelle. Il est totalement absurde de parler de « survie » du proton ou de l’électron… J’aurais envie de commenter mais je continue…

Des molécules vont s’unir pour former des cellules. Alors apparaît l’un des deux moments majeurs de cette histoire : l’apparition de la vie. L’évolution ne commence pas à ce moment, elle continue, ayant commencé au Big bang qu’il est très légitime d’assimiler au Fiat lux même si j’ai horreur du concordisme systématique. Elle continue, poussée par une force que j’ai toujours trouvé stupidissime d’assimiler au hasard, ce dieu des imbéciles comme l’appelait Bloy. Une force qui fait en sorte que les individus qui y sont soumis ont peut à y faire. Le poisson ne décide pas de sortir de l’eau pour devenir un amphibien. Le vivipare ne décide pas de garder son œuf dans son ventre pour le protéger du danger. La girafe ne décide pas de s’allonger le cou pour atteindre les feuilles plus hautes. L’évolution est subie… Jusqu’au second moment majeur de l’histoire après l’apparition de la vie : l’apparition de la liberté. Si on situe cet événement dans le schème ci-dessus, on peut définir la liberté par la possibilité qu’on a de sortir de l’élan évolutif. On ne subit plus l’évolution, on accepte ou non d’y prendre part.

L’homme est au bout de la chaîne, mais je suis à peu près d’accord avec Nietzsche lorsqu’il dit que l’homme est, comme la chenille, dans une phase transitoire. C’est ce qu’il définit comme la phase à atteindre que je trouve digne d’un ado attardé qui trippe encore sur les X-Men. J’imagine que c’est l’effet normal du rejet du culte des saints : nous les faire remplacer par des super-héros…  (Je rappelle que Nietzsche provenait d’un milieu protestant fervent et que son père était pasteur, comme Kierkegaard d’ailleurs, qui a réagi avec beaucoup plus d’élégance.) En tout cas, on est appelé à atteindre un stade supérieur. Comment? Encore une fois le schème évolutif (donc la science) nous éclaire un peu.

Il y a toujours, lors du passage d’un stade à un autre, une intériorisation-de-l’immédiateté--pour-aller-au-delà. D’abord, la corne de l’exosquelette est intériorisée pour augmenter la mobilité de l’animal (aller au-delà). Ensuite l’eau est intériorisée par le poisson pour aller au-delà : la terre ferme.

Ce que ça nous dit concrètement c’est qu’il faut une intériorisation si on veut continuer à évoluer. Autrement, on va se garocher à gauche et à droite sans jamais se poser de question et qu’on va stagner au stade animal. L’état « d’entre-deux » est très inconfortable pour l’homme, comme le faisait remarquer Pascal. Dès lors, il n’y a que deux moyens de se sortir de cet inconfort : atteindre le stade supérieur ou se laisser retomber au stade inférieur, celui du mammifère. Le bienheureux est celui qui ne souffre plus du tiraillement insupportable de « l’entre-deux » : il a atteint le stade supérieur, même si la gravité se fait encore sentir. Le mammifère (que Platon appelait le gros animal) est celui qui a réagi au tiraillement en exerçant sa liberté de dire « non » à ce processus méga-millénaire qu’on appelle l’évolution. « J’arrête ça là. Mammifère, c’est déjà pas mal! » Car s’il y a une chose que la science évolutive nous enseigne c’est que l’évolution ne se fait pas dans le confort. Il faut un état de crise pour que ce soit possible. C’est pourquoi les vies de saints sont généralement aussi mouvementées… Et qu’elles sont ponctuées de longs moments d’intense intériorité… Intériorisation-pour-aller-au-delà, disais-je… Au-delà de quoi? Peut-être du temps. Pour atteindre l’Éternité. De béatitude, si possible. La religion catholique n’a jamais dit autre chose.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire