La science est censée nous montrer le chemin. C’est son rôle. Je veux
dire qu’elle est censée orienter notre esprit de façon à ce que l’on adapte
notre comportement de manière à réussir notre vie. Savoir beaucoup de choses,
mais pourquoi? Pour briller en société? Gagner des prix? Les transmettre à
d’autres qui ne sauront pas plus que nous quoi faire avec? En bout de ligne, il
me semble qu’on doit savoir des choses pour bien diriger sa vie, question de la
RÉUSSIR. Je lis toujours un peu de terreur dans les yeux des gens lorsque
j’aborde ce concept. « Quoi on peut rater
notre vie? » Ça va certes à l’encontre du relativisme ambiant. Car comment
établir des critères selon lesquels on pourra dire qu’une vie a été réussie ou
ratée? Des critères sûrs et indiscutables? « Ça dépend de chacun! »
Il y a des gens qui semblent convaincus que le but de la vie est d’accumuler
des images de pornographie juvéniles sur leur disque dur. Va-t-on dire :
« Si c’est ça qui est bien pour lui, qui sommes-nous pour dire que c’est
pas correct »? Eh bien croyez-le ou non, c’est bien ce que je me suis déjà
fait répondre, et pas seulement une fois. On prie pour obtenir la grâce d’une
bonne mort lors de la quatrième dizaine des Mystères glorieux. J’imagine qu’il
ne s’agit pas de se souvenir avec tendresse sur son lit d’agonie des milliers
d’heures qu’on a passées à regarder des images pixellisées d’enfants abusés par
des mononcles damnés.
La question qu’on pourrait se poser est : Dans quoi as-tu mis le
meilleur de ton être? « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur »,
dit le Christ sur le mont des Olives. Si tu as mis le meilleur de toi-même (le
meilleur de ton temps, de ton énergie, de ta fortune, de tes pensées) dans la
fente d’une machine de vidéo-poker, je doute qu’on puisse dire que tu as réussi
ta vie. Qu’importe ce que les autres disent, bien évidemment. Mais je doute que
ta conscience, sur ton lit de mort, te fasse de high-fives en te disant :
« Bravo champion, ça c’était une vie bien remplie. » La conscience
est un juge bien plus sévère que l’opinion publique. Il est étonnant de voir à
quel point des gens sont capables de la faire taire, mais je crois qu’elle n’en
sort que plus bruyante lors de l’agonie, alors que nos forces de refoulement
sont épuisées et qu’elle a le champ libre pour nous dire ce qu’elle a passé
notre vie à se retenir de nous dire.
Je ne dis pas ça pour consoler les gens qui auraient pu être victime
d’un bourreau s’en étant presque sorti avec les honneurs et vivant avec
l’apparence de la plus parfaite sérénité. « Ne vous inquiétez pas, il aura
son compte! La joke qu’on appelle la justice humaine a dû se retenir pour ne
pas lui donner une médaille mais sa conscience le jugera sévèrement. » Je
dis seulement qu’on peut réussir sa vie selon des critères qui ne sont pas relatifs à chacun.
Et que c’est ce que la science nous enseigne. Je prends souvent
l’exemple de la chenille. Une chenille qui n’est jamais devenue papillon n’a
pas réussi sa vie. La chenille est censée être une phase transitoire. Si on
s’arrête à la phase transitoire, on s’est arrêté en chemin et c’est ce que j’ai
défini précédemment comme étant l’idolâtrie. Inaccomplissement.
Il faut, pour réussir sa vie, aller au bout de « voie
étroite » dont parle le Christ et que très peu trouvent. Ce qui signifie
qu’il faut d’abord trouver cette voie, et ensuite aller au bout. Deux étapes
donc, et la science nous aide pour la première. L’évolution, plus
particulièrement.
Quand je parle d’évolution, je ne parle pas seulement du vivant. Ce
dont on parle peu et qui m’apparaît évident, c’est l’évolution pré-biologique.
Il y a d’abord des particules élémentaires, fermions et bosons. Les fermions
vont faire la matière tandis que les bosons sont des particules de forces.
L’électron est un fermion, mais pas le proton ni le neutron. Ces derniers sont
formés de l’union de trois fermions, plus particulièrement des quarks. Il y a
donc une évolution puisqu’un proton est dans une forme plus complexe qu’un
quark. Puis des électrons, des fermions fondamentaux, sont captés par des
protons et « orbitent » autour. S’ils sont captés et qu’ils peuvent
former cette nouvelle réalité qu’on appelle l’atome, c’est parce qu’ils ont une charge électrique absolument
égale à cette du proton, mais de signe opposé, comme on l’apprend au
secondaire. Pourquoi? Les électrons, qui sont une forme de fermion qu’on
appelle lepton, n’ont pourtant rien en commun avec les protons, formés de trois
fermions d’un type totalement différent qu’on appelle quarks… Alors? Mystère
total. On sait seulement que s’il n’en était pas ainsi, l’univers ne serait
qu’une soupe de particules chargées… Mais ça c’est une autre histoire. Ce que
je veux mettre en évidence, c’est la complexification (donc l’évolution)
pré-biologique. Jusque là, il n’y a que des atomes simples, de l’hydrogène et
de l’hélium. Les atomes plus complexes (l’oxygène, le carbone et tous les
éléments du tableau périodique jusqu’au fer), vont se former par nucléosynthèse
dans les étoiles. Puis certains de ces atomes vont s’unir ensemble pour former
une nouvelle réalité plus complexe encore : la molécule.
Complexification. Évolution. C’est évident. Si on n’en parle pas, c’est
parce qu’elle ne peut pas s’expliquer par la sélection naturelle. Il est
totalement absurde de parler de « survie » du proton ou de
l’électron… J’aurais envie de commenter mais je continue…
Des molécules vont s’unir pour former des cellules. Alors apparaît l’un
des deux moments majeurs de cette histoire : l’apparition de la vie. L’évolution ne commence pas à ce
moment, elle continue, ayant commencé au Big bang qu’il est très légitime
d’assimiler au Fiat lux même si j’ai
horreur du concordisme systématique. Elle continue, poussée par une force que
j’ai toujours trouvé stupidissime d’assimiler au hasard, ce dieu des imbéciles
comme l’appelait Bloy. Une force qui fait en sorte que les individus qui y sont
soumis ont peut à y faire. Le poisson ne décide
pas de sortir de l’eau pour devenir un amphibien. Le vivipare ne décide pas de garder son œuf dans son
ventre pour le protéger du danger. La girafe ne décide pas de s’allonger le cou pour atteindre les feuilles plus hautes.
L’évolution est subie… Jusqu’au
second moment majeur de l’histoire après l’apparition de la vie : l’apparition
de la liberté. Si on situe cet
événement dans le schème ci-dessus, on peut définir la liberté par la
possibilité qu’on a de sortir de l’élan évolutif. On ne subit plus l’évolution,
on accepte ou non d’y prendre part.
L’homme est au bout de la chaîne, mais je suis à peu près d’accord avec
Nietzsche lorsqu’il dit que l’homme est, comme la chenille, dans une phase
transitoire. C’est ce qu’il définit comme la phase à atteindre que je trouve digne
d’un ado attardé qui trippe encore sur les X-Men. J’imagine que c’est l’effet
normal du rejet du culte des saints : nous les faire remplacer par des
super-héros… (Je rappelle que Nietzsche
provenait d’un milieu protestant fervent et que son père était pasteur, comme
Kierkegaard d’ailleurs, qui a réagi avec beaucoup plus d’élégance.) En tout
cas, on est appelé à atteindre un stade supérieur. Comment? Encore une fois le
schème évolutif (donc la science) nous éclaire un peu.
Il y a toujours, lors du passage d’un stade à un autre, une intériorisation-de-l’immédiateté--pour-aller-au-delà.
D’abord, la corne de l’exosquelette est intériorisée pour augmenter la mobilité
de l’animal (aller au-delà). Ensuite l’eau est intériorisée par le poisson pour
aller au-delà : la terre ferme.
Ce que ça nous dit concrètement c’est qu’il faut une intériorisation si
on veut continuer à évoluer. Autrement, on va se garocher à gauche et à droite
sans jamais se poser de question et qu’on va stagner au stade animal. L’état « d’entre-deux »
est très inconfortable pour l’homme, comme le faisait remarquer Pascal. Dès
lors, il n’y a que deux moyens de se sortir de cet inconfort : atteindre
le stade supérieur ou se laisser retomber au stade inférieur, celui du
mammifère. Le bienheureux est celui qui ne souffre plus du tiraillement
insupportable de « l’entre-deux » : il a atteint le stade
supérieur, même si la gravité se fait encore sentir. Le mammifère (que Platon
appelait le gros animal) est celui qui a réagi au tiraillement en exerçant sa
liberté de dire « non » à ce processus méga-millénaire qu’on appelle
l’évolution. « J’arrête ça là. Mammifère, c’est déjà pas mal! » Car s’il
y a une chose que la science évolutive nous enseigne c’est que l’évolution ne
se fait pas dans le confort. Il faut un état de crise pour que ce soit
possible. C’est pourquoi les vies de saints sont généralement aussi
mouvementées… Et qu’elles sont ponctuées de longs moments d’intense intériorité…
Intériorisation-pour-aller-au-delà, disais-je… Au-delà de quoi? Peut-être du
temps. Pour atteindre l’Éternité. De béatitude, si possible. La religion
catholique n’a jamais dit autre chose.
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