mardi 30 juillet 2013

Faust et le renversement de la raison

Contrairement à Job, Faust échoue lamentablement. Est-ce parce que sa souffrance est plus grande que celle de Job? Après tout, c’est Dieu lui-même qui le donne au démon en exemple. Job a perdu toute sa famille des suites de catastrophes du genre de celle de Mégantic. Après ça, il a eu le corps recouvert d’ulcères purulents au point ou il devait se gratter avec des tessons de bouteille. La goutte qui passe proche de faire déborder le vase est la condescendance imbécile mais compréhensible de ses amis qui prétendent savoir quelles sont les intentions et les raisons d’agir de l’Éternel.

Tellement d’injustices en ce monde. Tellement d’innocentes victimes de morts atroces, tandis que c’est de rire que les pires trous du'c finissent par crever. Devant l’incurie de la justice terrestre (une joke de plus en plus risible) on comprend que des faibles d’esprit s’imaginent une justice divine (une justice de l’arrière monde dirait Maître Onfray) qui viendrait tout rééquilibrer. Seuls ceux qui peuvent prétendre à la surhumanité sont capables de fonctionner avec l’évidence de cette injustice et du chaos qui règnent sur le monde.

Bien sûr!

Je me rappelle une prof de littérature qui nous disait sans rire que la conscience était un voile que l’on se plaçait devant les yeux pour ne pas voir le chaos, question de pouvoir continuer à vivre… Ce qui est drôle avec ces gens c’est qu’ils vont s’empresser d’évoquer la science pour affirmer la vétusté de la religion… La science dont l’existence même est absolument incompatible avec ce chaos qu’ils situent au fondement du monde.

Faust est un scientifique… Un scientifique assez intelligent pour ne pas tomber dans un piège aussi jambon. Pourquoi succombe-t-il? C’est une question importante car Faust est l’archétype parfait de l’intellectuel moderne.

La réalité des souffrances ne fait pas succomber Job mais la perspective des jouissances fait tomber Faust. Ce dernier ne veut pas seulement décrire la réalité, il veut pouvoir la changer. Il connait la vérité mais elle ne lui convient pas. Il faut donc en changer les bases. Une vie chargée de plaisirs n’est pas compatible avec la vérité de l’homme, c’est-à-dire avec ce qui lui permet de « devenir ce qu’il est ». Il faut donc changer cette vérité, et tel est le désir de Faust.

Moi, l’image de la divinité, qui me croyais déjà parvenu au miroir de l’éternelle vérité ; qui, dépouillé, isolé des enfans de la terre, aspirais à toute la clarté du ciel ; moi qui croyais, supérieur aux chérubins, pouvoir confondre mes forces indépendantes avec celles de la nature, et, créateur aussi, jouir de la vie d’un Dieu, ai-je pu mesurer mes pressentimens à une telle élévation ?...

Les philosophes grecs de l’Antiquité s’élaboraient une métaphysique pour justifier leurs comportements. L’homme moderne ne veut pas d’une foi qui le brime dans sa recherche de plaisirs. Il se tourne donc vers des « sages » qui puissent lui fournir une métaphysique compatible avec cette recherche. Faust est la figure qui a justifié une telle recherche. Qu’un scientifique -- un sage parvenu à l’extrémité de la connaissance de son temps -- soit prêt à donner son âme en échange de biens aussi vulgaires vient marquer une étape. Plein de pseudo-Faust vont s’engager à sa suite. Ils vont vouloir, eux-aussi, changer les fondements du monde. Les meilleurs d’entre eux ne sont pas dupes. Ils savent qu’une telle vie mène au néant. Il va rester à glorifier ce néant duquel tout peut surgir, comme du chapeau d'un magicien.

D’ailleurs arrivé au bout de la connaissance, deux choix s’offrent à Faust : la foi ou la magie. Soit on se plie à la réalité du monde pour le transcender et rejoindre Dieu, soit on plie le monde à notre réalité pour en être le dieu. Comme disait Léon Bloy : « Au fond, l'orgueil, à tous les niveaux, consiste à croire qu'on est Dieu et qu'on a créé le monde. » Un monde avec une métaphysique qui admette les comportements que l’on veut adopter selon ce que notre instinct nous commande. La raison est au service de l’instinct. Telle est maintenant sa seule justification.

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