C’est vrai
en philosophie, c’est vrai en art. On présente la Damnation de Faust à la salle Louis Fréchette cet après-midi, dans
une mise en scène de Robert Lepage. Je viens de voir les photos dans le journal
et ça semble grandiose. De quoi vont parler les gens qui vont en sortir? Tentative
d’estimation : 80% vont parler des décors et des effets spéciaux, 40% vont
parler de la musique (si j’ai dépassé 100%, c’est parce que l’un n’exclut pas
l’autre), 15% vont parler du texte de Goethe dans ses grandes lignes et 2% vont
parler des fondements métaphysiques et bibliques du texte. Pourtant ces
fondements sont l’essentiel de l’œuvre et les enrobages admirables de Berlioz et Lepage ne servent
qu’à en faciliter l’accès. J’aurais bien aimé y aller mais c’est hors de prix
pour moi. J’ai cependant une alternative intéressante. Aller prendre Faust dans ma bibliothèque et le lire
pendant 3h, qui doit bien être la durée de la représentation. J’en tirerai des
fruits autrement plus nourrissants.
D’autant
plus que j’ai la chance (je dis bien « la chance », ce qui exclut
tout mérite de ma part) de connaître un peu les fondements bibliques de
l’œuvre, et donc je comprends un peu les références : le livre de Job
entre autre… J’ai cette chance parce que j’ai voulu lire le livre de Job pour
ce qu’elle est d’abord : un chef-d’œuvre poétique. « Oui mais c’est
dans la Bible. » Je conseille aux âmes chagrines cette démarche qui a
assez bien marché avec moi. On sait que la Bible est d’abord une bibliothèque
composée de 76 livres. Trouvez des éditions qui présentent ces livres
individuellement. Ainsi, lorsque vous irez le lire sur la terrasse d’un café ou
d’un pub en savourant une pinte de
Barberie, vous n’aurez pas l’air d’être en train de lire la Bible. Vous aurez
simplement l’air d’être en train de lire une œuvre importante dans l’histoire
littéraire occidentale, et qui vous permettra d’en comprendre d’autres qu’il
convient de connaître si vous voulez prétendre avoir un minimum de culture
générale. Faust par exemple. Qui plus
est, votre entreprise aura l’air moins intimidante que celle que je ne
conseille pas du tout et qui consisterait à vouloir lire la Bible (pour des
raisons strictement culturelle, j’insiste) d’un couvert à l’autre, comme on
voudrait lire la Recherche du temps perdu
ou l’Archipel du goulag. Vous n’avez
pas besoin de lire la Bible d’un couvert à l’autre. Sur les 76 livres, il y en
a cependant au moins une quinzaine qui me semblent indispensables si vous voulez être capable de réfléchir un
peu sur le monde dans lequel vous vivez. Lançons-nous : Genèse, Exode, Juges, Job, Psaumes
(quelques uns), Ecclésiaste, Sagesse, Ben Sirac, Osée, Marc, Jean, Romains, 1Corinthiens, 1Jean et l’Apocalypse.
Bon il y aura quelques longueurs, mais il y en a aussi quelques unes dans Guerre et Paix.
Soyons
clair : Quelqu’un qui n’a pas lu ces livres et qui ne les a pas médités un
minimum n’a pas de culture. Même s’il a lu Moby
Dick et les Frères Karamazov
(qu’il ne peut pas avoir compris…) Ne pas lire ces œuvres nous condamne à
l’inculture et l’inculture nous condamne à la médisance. Car de quoi des gens
sans culture parlent lorsqu’ils se retrouvent? Ils bitchent! La culture n’aurait que cette utilité que ce serait déjà
pas pire, non?
Mais bien
sûr, la culture ce n’est pas seulement la littérature, c’est aussi l’histoire. Un
des bâtiments les plus impressionnants de la ville que j’habite est l’hôpital
psychiatrique Robert-Giffard. Je ne sais pas s’il porte encore ce nom. Je sais
qu’il s’est déjà appelé Saint-Michel-Archange. À l’époque, la maladie mentale
s’assimilait trop facilement à la possession démoniaque (aujourd’hui nous
sommes allés dans l’excès contraire mais ça c’est une autre question). Or c’est
l’Archange saint Michel qui a pris la tête de l’Armée du Seigneur lorsque Satan
et sa bande se sont révoltés. Il est donc la « personne » tout
indiquée pour chasser les démons qui assaillent les épileptiques qu’on prenait
alors pour des possédés. Quant à Robert Giffard, il est bien entendu l’un des
premiers colons de Nouvelle-France. Le lien avec la maladie mentale? Il était
apothicaire comme son prédécesseur Louis Hébert, mais surtout il avait une
servante du nom de Barbe Hallay qui aurait été le premier cas de possession
démoniaque officielle de notre histoire. Elle aurait été exorcisée par Mgr de
Laval, qui fut le premier Évêque du Canada et qui en a fondé la première
institution : le Séminaire de Québec. Ces faits sont rapportés par
Marie-Catherine-de-Saint-Augustin qui a été un membre fondateur du premier
hôpital d’Amérique du Nord : l’Hôtel-Dieu de Québec. Quand je raconte ces
faits à des adolescents, je vois leurs yeux s’illuminer. Évidemment que tous ne
croient pas à l’histoire des anges déchus mais qu’importe? Ça donne une
ampleur. Ça réenchante. Ça nous donne envie d’en savoir plus. Évidemment qu’il
n’est pas question de telles choses dans les cours d’histoire actuels. Il n’est
questions que de faits importants et historiquement avérés qui emmerdent
prodigieusement les jeunes en général. Je le sais, ils me l’ont dit. Bon je ne
demande pas qu’on enseigne ces faits comme des vérités historiques… Mais entre
ça et l’index actuels dans lesquels ces faits sont confinés, il y a une marge.
Vous imaginez l’opéra qu’on pourrait tirer d’un tel argument si on était moins
coincés avec notre patrimoine religieux?
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