dimanche 28 juillet 2013

Damnation de Faust

Je rêve d’un Québec (et d’un Occident) décomplexifié dans lequel on pourrait parler de Rolland Giguère et de saint Jean Chrysostome dans la même phrase sans que ça sonne bizarre. Un Québec où aller à Sainte-Anne-de-Beaupré ne serait pas plus bizarre qu’aller à Expo-Québec. J’imagine des conversations du genre : « Salut Big, on va se prendre une pinte au Bal du Lézard? – Cool, je vais à la messe de 10h à Saint-Zéphirin et je te rejoins. » « On va aux Remparts à soir? – Ok, viens me chercher dans une demi-heure, le temps que je finisse mon chapelet. »J’ai une discussion intéressante sur le libre-arbitre avec un jeune philosophe et j’évoque saint Augustin qui me semble avoir dit des choses un peu significatives sur le sujet. Je le vois se rembrunir… La discussion est terminée. Pourquoi? Parce que je voulais l’évangéliser sans aucun doute. Il veut garder son indépendance d’esprit, qu’il confond sans doute avec le néant. On est loin des philosophes de l’Aréopage qui écoutaient saint Paul avec plaisir… Ils avaient tous leur philosophie qu’ils avaient pris un long moment à élaborer… Une philosophie qu’ils croyaient assez solide pour résister aux contradictions d’une autre. Personnellement j’adore avoir des discussions avec des athées. Ça me permet de mettre mes croyances à l’épreuve. Elles n’en sortent généralement que plus renforcées. Il semble malheureusement que ce ne soit pas réciproque et je n’ai presque jamais de conversations philosophiques avec des athées.  Pourquoi? Parce qu’ils n’ont généralement  rien à opposer à… À quoi? Je vais dire que saint Augustin est l’un des trois ou quatre plus grands philosophes de l’Occident, ce que nombre d’universitaires athées admettent volontiers, et donc que ce qu’il a écrit sur un sujet très chaud ces temps-ci (après le jugement dans l’affaire Turcotte par exemple) est digne de considération.

C’est vrai en philosophie, c’est vrai en art. On présente la Damnation de Faust à la salle Louis Fréchette cet après-midi, dans une mise en scène de Robert Lepage. Je viens de voir les photos dans le journal et ça semble grandiose. De quoi vont parler les gens qui vont en sortir? Tentative d’estimation : 80% vont parler des décors et des effets spéciaux, 40% vont parler de la musique (si j’ai dépassé 100%, c’est parce que l’un n’exclut pas l’autre), 15% vont parler du texte de Goethe dans ses grandes lignes et 2% vont parler des fondements métaphysiques et bibliques du texte. Pourtant ces fondements sont l’essentiel de l’œuvre et les enrobages  admirables de Berlioz et Lepage ne servent qu’à en faciliter l’accès. J’aurais bien aimé y aller mais c’est hors de prix pour moi. J’ai cependant une alternative intéressante. Aller prendre Faust dans ma bibliothèque et le lire pendant 3h, qui doit bien être la durée de la représentation. J’en tirerai des fruits autrement plus nourrissants.

D’autant plus que j’ai la chance (je dis bien « la chance », ce qui exclut tout mérite de ma part) de connaître un peu les fondements bibliques de l’œuvre, et donc je comprends un peu les références : le livre de Job entre autre… J’ai cette chance parce que j’ai voulu lire le livre de Job pour ce qu’elle est d’abord : un chef-d’œuvre poétique. « Oui mais c’est dans la Bible. » Je conseille aux âmes chagrines cette démarche qui a assez bien marché avec moi. On sait que la Bible est d’abord une bibliothèque composée de 76 livres. Trouvez des éditions qui présentent ces livres individuellement. Ainsi, lorsque vous irez le lire sur la terrasse d’un café ou d’un pub en savourant  une pinte de Barberie, vous n’aurez pas l’air d’être en train de lire la Bible. Vous aurez simplement l’air d’être en train de lire une œuvre importante dans l’histoire littéraire occidentale, et qui vous permettra d’en comprendre d’autres qu’il convient de connaître si vous voulez prétendre avoir un minimum de culture générale. Faust par exemple. Qui plus est, votre entreprise aura l’air moins intimidante que celle que je ne conseille pas du tout et qui consisterait à vouloir lire la Bible (pour des raisons strictement culturelle, j’insiste) d’un couvert à l’autre, comme on voudrait lire la Recherche du temps perdu ou l’Archipel du goulag. Vous n’avez pas besoin de lire la Bible d’un couvert à l’autre. Sur les 76 livres, il y en a cependant au moins une quinzaine qui me semblent indispensables  si vous voulez être capable de réfléchir un peu sur le monde dans lequel vous vivez. Lançons-nous : Genèse, Exode, Juges, Job, Psaumes (quelques uns), Ecclésiaste, Sagesse, Ben Sirac, Osée, Marc, Jean, Romains, 1Corinthiens, 1Jean et l’Apocalypse. Bon il y aura quelques longueurs, mais il y en a aussi quelques unes dans Guerre et Paix.

Soyons clair : Quelqu’un qui n’a pas lu ces livres et qui ne les a pas médités un minimum n’a pas de culture. Même s’il a lu Moby Dick et les Frères Karamazov (qu’il ne peut pas avoir compris…) Ne pas lire ces œuvres nous condamne à l’inculture et l’inculture nous condamne à la médisance. Car de quoi des gens sans culture parlent lorsqu’ils se retrouvent? Ils bitchent! La culture n’aurait que cette utilité que ce serait déjà pas pire, non?

Mais bien sûr, la culture ce n’est pas seulement la littérature, c’est aussi l’histoire. Un des bâtiments les plus impressionnants de la ville que j’habite est l’hôpital psychiatrique Robert-Giffard. Je ne sais pas s’il porte encore ce nom. Je sais qu’il s’est déjà appelé Saint-Michel-Archange. À l’époque, la maladie mentale s’assimilait trop facilement à la possession démoniaque (aujourd’hui nous sommes allés dans l’excès contraire mais ça c’est une autre question). Or c’est l’Archange saint Michel qui a pris la tête de l’Armée du Seigneur lorsque Satan et sa bande se sont révoltés. Il est donc la « personne » tout indiquée pour chasser les démons qui assaillent les épileptiques qu’on prenait alors pour des possédés. Quant à Robert Giffard, il est bien entendu l’un des premiers colons de Nouvelle-France. Le lien avec la maladie mentale? Il était apothicaire comme son prédécesseur Louis Hébert, mais surtout il avait une servante du nom de Barbe Hallay qui aurait été le premier cas de possession démoniaque officielle de notre histoire. Elle aurait été exorcisée par Mgr de Laval, qui fut le premier Évêque du Canada et qui en a fondé la première institution : le Séminaire de Québec. Ces faits sont rapportés par Marie-Catherine-de-Saint-Augustin qui a été un membre fondateur du premier hôpital d’Amérique du Nord : l’Hôtel-Dieu de Québec. Quand je raconte ces faits à des adolescents, je vois leurs yeux s’illuminer. Évidemment que tous ne croient pas à l’histoire des anges déchus mais qu’importe? Ça donne une ampleur. Ça réenchante. Ça nous donne envie d’en savoir plus. Évidemment qu’il n’est pas question de telles choses dans les cours d’histoire actuels. Il n’est questions que de faits importants et historiquement avérés qui emmerdent prodigieusement les jeunes en général. Je le sais, ils me l’ont dit. Bon je ne demande pas qu’on enseigne ces faits comme des vérités historiques… Mais entre ça et l’index actuels dans lesquels ces faits sont confinés, il y a une marge. Vous imaginez l’opéra qu’on pourrait tirer d’un tel argument si on était moins coincés avec notre patrimoine religieux?

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